YOGA et handicap mental, une expérience de cours personnalisé avec un enfant

Ma première rencontre avec des enfants « différents » a eu lieu en 1986, alors que j’étais intervenante mime dans une classe adaptation de l’école élémentaire Pierre-Sémard à Saint-Denis. Aujourd’hui, j’interviens en tant que professeur de yoga en I.M.E. auprès de jeunes autistes, psychotiques.

Le yoga accueille la personne dans sa globalité. C’est avec l’expérience de cours individuels que j’ai découvert la puissance du yoga. Pendant 2 années et plus de 60 séances pour l’accompagnement d’A., un jeune garçon de 10 ans présentant des symptômes dyspraxiques et autistiques.

En octobre 2013, je l’ai rencontré lors sa première participation au cours collectif de yoga pour enfant. Il avait du mal à s’insérer dans le groupe, son corps était mou et sa voix aiguë. Il avait de l’appréhension pour les gestes les plus simples, comme par exemple en début de séance, la répétition ludique « grand (debout bras le long des oreilles) – petit (accroupi) – large (debout, bras et jambes écartés) ». Ses gestes étaient imprécis, il exprimait son abattement avec une grimace, montrant le blanc de ses yeux, se décourageait. Malgré ma bienveillance et mes encouragements, il se laissait tomber au sol, ou il commençait à parler pour occuper l’espace. Pourtant on se souriait, on se comprenait, un lien s’ébauchait.

À la demande de sa maman, j’ai commencé un cours hebdomadaire à domicile. Victime de maltraitance à l’école, A. était déscolarisé. Il m’a fallu 3 séances pour appréhender mon rôle et considérer une progression dans le temps. Le point de départ est une phrase de la formation de professeur avec Marina Margherita : « Pour toute personne en fragilité, il est important de renforcer ce qui est déjà solide pour acquérir la confiance en soi. »

Apprendre quelque chose à chaque cours

J’ai pris en compte la grande gentillesse d’A. et son envie de faire plaisir. L’objectif était qu’il réalise qu’il apprenait quelque chose à chaque cours. Les premières séances duraient 45 min. Je l’invitais à me raconter son présent. Puis, on inventait une histoire pour la jouer façon yoga, utilisant les bras, les jambes, les mains. Progressivement, il a gagné en force et en souplesse. Il a mémorisé des enchaînements courts auxquels on ajoutait une posture ou une variante en statique de 3 à 8 secondes.

Assis face à face, le jeu du miroir a été très utile pour développer et maintenir son attention. Transformer le geste du quotidien en un geste abstrait. En l’encourageant dans sa volonté de bien faire, cela lui permit de gagner en assurance. Souvent, je terminais la séance avec la lecture d’un album pour enfant.

Se fatiguant rapidement, il apprit à en reconnaître les symptômes et à me signaler son besoin de repos. Il s’allongeait alors 2 à 3 minutes sur son tapis, silencieux. Ce temps de récupération était nécessaire pour respecter ses possibilités et garder le plaisir de pratiquer le yoga et donc de se retrouver !

Fin février, sa mère suggéra qu’il reprenne le cours collectif de yoga pour enfant parallèlement aux séances individuelles. Il a commencé en se tenant un peu à l’écart et en observant les autres. Petit à petit, il s’est engagé dans l’action jusqu’à exécuter la salutation au soleil ! Cependant, il était très sélectif avec ce qu’il ne savait pas faire.

En septembre 2014, A. est retourné à l’école. Sa maman a souhaité continuer les cours individuels et il est également revenu avec plaisir au cours collectif de yoga pour enfant.

Le chat heureux ronronne…

La collectivité et les devoirs exigeaient de lui beaucoup d’efforts, je pris en compte que la fatigue avait encore réduit sa respiration. Alors j’introduisis de manière régulière le son lors des séances à domicile. On débutait avec un nouveau rituel, assis en tailleur en respirant avec les voyelles. Les postures et enchaînements étaient des jeux corporels, aidant à l’observation de son ressenti et de son souffle et pour mettre en mots les émotions qui parfois n’étaient pas identifiées. J’ai utilisé les postures aux noms d’animaux pour découvrir, nommer et jouer les émotions telles que : le chat heureux ronronne, le tigre agressif rugit, le loup triste hurle…

Souvent, il proposait de pratiquer la salutation au soleil. On ajouta régulièrement d’autres postures : la planche – (kumbhakasana), la planche sur un côté (Vasistasana), etc. Pour progresser, à chaque séance, il y avait une question : où est le poids de mon corps ? Où sont mes appuis ? Ou une consigne d’observation : relation gauche-droite, le placement des pieds, aller au bout de son geste, etc.

La posture du guerrier (virabhadrasana), le mettait en difficulté. Il ne la ressentait pas, ne pouvant établir le rapport au sol pour installer la stabilité et n’avait pas la « force » dans les jambes pour maintenir la « forme ». J’ai donc proposé le guerrier au repos, allongé sur le dos avec une jambe fléchie et le pied contre la cuisse, les bras le long des oreilles. La posture a eu un effet régénératif ! Elle lui donné l’énergie qui lui manquait. Quelques semaines plus tard, il a commencé un enchaînement avec le « chevalier » debout tirant une flèche vers une cible imaginaire!

Pendant longtemps A. avait peur et n’appréciait pas d’avoir la tête au sol les pieds en l’air (urdhva prasarita padasana). Et voilà qu’au mois de juin, il insiste pour apprendre la posture de la chandelle (sarvangasana) ! Pour soutenir ses appuis, il a marché sur le mur avant d’apprendre à repousser le sol pour monter ses jambes, son bassin et son dos ! Mais quelle fut notre joie quand il réussit trouver ses appuis ! Il était fort et il savait maintenant trouver en lui les ressources pour aller de l’avant !

Printemps 2015, sa maman m’annonça que la famille déménagerait l’été suivant et qu’A. intégrerait une école avec une pédagogie différenciée.

Le cours adapté et personnalisé permit à A. d’explorer son schéma corporel, d’observer sa relation à l’effort et à la persévérance, de renforcer son ancrage, de consolider sa conscience émotionnelle, de développer son souffle, ainsi que de s’approprier des outils pour sa concentration et se détendre.

Cet accompagnement a été une belle et riche aventure. Je m’étais attachée à ce jeune garçon. Les deux années avec plus de 60 séances furent aussi importantes pour lui que pour moi. Grâce à lui, j’ai grandi en confiance et en liberté pour l’exercice de mon métier de professeur de yoga.

Paula Gabinski



Autres articles