INTERVIEW DE MARINA MARGHERITALa relation enseignant – élève |
Instant Yoga (IY) : Que transmet-on dans un cours de yoga ? Marina Margherita (M.M.): Pour moi la chose principale que l’on transmet c’est une permission à être soi-même, par l’intermédiaire de tout ce que l’on enseigne. C’est pour cela qu’on transmet beaucoup plus qu’un savoir : c’est dans la mesure où on apprend soi-même à être ce que l’on est qu’on peut transmettre cette permission à quelqu’un d’autre. I.Y. : Comment vis-tu la transmission du yoga dans un contexte occidental, dans le respect de la tradition orientale ? M.M. : Je dirais que, dans la transmission du yoga dans la culture orientale et dans la culture occidentale, il y a des différences. Je dirais, par exemple, qu’avec Desikashar on était toujours conscient que c’était lui le maitre des rendez-vous,… Le contexte indien met l’accent sur l’autorité qui n’est jamais contestée. Il était hors de question que je dise : « non aujourd’hui je ne peux pas venir à ce rendez-vous ». Aussi il était possible que je sois frustrée dans mon envie d’un rendez-vous et que je sois laissée pendant une semaine sans en avoir un dans une expérience de manque. Mais je crois que chacun à sa façon, dans l’essentiel, on transmet la même chose. Parce que l’expérience du manque est très importante à vivre pour pouvoir se connaître et savoir ce que l’on est… et aussi pour trouver sa liberté. Je sens que les deux traditions se recoupent et se retrouvent complètement dans l’attention complète à un élève quand il est là, et parallèlement, dans le fait de le laisser seul à mûrir par des expériences qui ne sont pas toujours faciles pour lui, mais chaque tradition a ses moyens, et chacune ses outils. Je dirais aussi que, de la tradition orientale, j’ai appris à être exigeante. Parce qu’être exigeant avec un élève c’est lui donner l’occasion de montrer de quoi il est capable. I.Y. : Le positionnement du professeur face à l’élève ? M.M. :Je n’ai pas vraiment d’apriori là dessus, en général je trouve mon positionnement face à un élève au fur et à mesure que les choses se font et que la relation se construit. En restant quand même sur l’idée que si un élève vient me voir, c’est qu’il pense que j’ai fait un bout de chemin par rapport à lui et que j’ai quelque chose à lui apporter dans une direction où il souhaite aller. Et ainsi, sa confiance me confère une autorité. Donc je ne pourrais jamais me mettre complètement en position de pair face à un élève parce que ce serait en quelque sorte trahir sa confiance. I.Y. : c’est toujours le processus de l’éducation : on s’appuie sur un parent pour grandir, donc il faut que ce parent représente une forme de fermeté M.M. :Oui mais disons que ce positionnement est quand même souple dans le sens que, de formation en formation et d’élève en élève, il s’ajuste à la personne qui est en face de moi. Ainsi, il m’est arrivé d’être même assez sévère dans certaines situations. Par contre, parfois j’ai fait le chemin inverse, quand je sentais que la relation pouvait aboutir à quelque chose… C’est pour cela que le positionnement je le trouve selon les élèves. I.Y. : Y a-t-il une évolution, depuis 30 ans, dans cette transmission ? M.M. :Je dirais que dans cette transmission au départ j’étais très fidèle à ce qui m’avait été transmis… (En fait fidèle n’est pas le mot, je pense que je suis fidèle à l’essentiel de ce qui m’a été transmis), mais j’étais beaucoup plus dans certains principes : « on fait les choses comme ça, on ne les fait pas comme ça » Il y a, d’une part, la demande des gens et, d’autre part, les principes qui m’ont été transmis ; plus l’appel de ceux à qui je vais transmettre devient fort et écouté, plus les principes perdent d’importance et reste l’esprit de la transmission qui consiste pour moi à enseigner à partir de ce que je suis, dans une situation vivante où j’adapte à la demande. En termes beaucoup plus concrets : I.Y. : Est-ce que ça se traduit aussi par les indications qui sont données pendant un cours de yoga ? M.M. :Oui, je dirais que dans la transmission, je laisse de plus en plus de place à l’élève, c’est à dire que je m’efface de plus en plus. J’étais beaucoup plus présente au départ, je remplissais plus l’espace par la parole, les notions…. Maintenant je suis toujours très présente, car la présence est importante, mais plus comme une spectatrice qui laisse à l’élève la place pour s’affirmer, se connaître, se mettre en avant. I.Y. : Y a t-il une évolution dans le profil et la demande des élèves ? M.M. :Effectivement le profil et la demande des élèves changent énormément. Je sens de plus en plus que les élèves qui viennent vers moi ont une vraie demande de connaissance d’eux-mêmes, d’une recherche de spiritualité. I.Y. : Y a t-il une évolution dans le profil et la demande des élèves ? M.M. :Enormément parce que c’est la société qui a besoin d’aller vers des valeurs de plus en plus essentielles. D’ailleurs c’est extraordinaire de voir comment, dans cette période de crise, les cours de yoga sont de plus en plus pleins, car j’ai de plus en plus de demandes. Effectivement les gens sont prêts à mettre le prix dans un cours de yoga alors que peut-être ils vont moins au cinéma… I.Y. : Comment vis-tu cette recommandation de Desikachar « Be open » dans la transmission ? M.M. :Illustrée par ce que j’ai dit, c’est une permission qui m’a été donnée et qui m’est de plus en plus facile de me donner à moi même, celle d’essayer. C’est vraiment l’encouragement à être le moins possible dans des préjugés, dans des principes établis et par contre le plus possible en contact avec la situation du moment. |