YOGA en Institut médico-éducatif

Article de Paula Gabinski Ratsimba publié dans la newsletter de L’IFY-idf en juin 2024.

Professeure de yoga depuis septembre 2009, formée à l’IFY par Marina Margherita, depuis 5 ans, j’interviens auprès de jeunes pris en charge à l’IME (Institut Médico Éducatif) du Centre de la Gabrielle à Claye-Souilly. Ce sont des adolescents et des jeunes adultes atteints de troubles de neurodéveloppement. Cette année, j’anime 4 à 5 cours par semaine. Chaque groupe se compose 2 à 6 jeunes hommes et/ou femmes, âgés de 15 à 28 ans. La majorité des personnes encadrant les jeunes sont des éducatrices.

Une invitation à être là !

À chaque cours, j’appelle chaque participant par son prénom et lui accorde le temps dont il a besoin pour répondre à mes sollicitations. Ce temps d’échange nous permet d’entrer dans la séance. Je prends en compte le niveau de compréhension et d’expression du langage verbal des jeunes. Je suis également attentive à la conscience plus ou moins développée qu’ils ont de leur corps, de leurs possibilités motrices, s’ils peuvent ou non porter l’attention vers la respiration, etc. Les obstacles les plus courant pour ces jeunes sont :

  • – La non-connaissance du vocabulaire désignant les parties du corps et associer les mots à son corps.
  • – La non-maitrise des repères spatiaux tels que gauche-droite, avant-arrière, haut-bas, etc.
  • – La non-compréhension de verbes d’action. Exemple : « monter les mains et les bras vers le haut et poser les mains sur ses pieds »
  • – La non-conscience de la respiration et la difficulté d’expirer.

Si besoin, je demande l’autorisation poser mes mains sur une partie de leur corps pour guider le mouvement. Je construis la séance en partant de ce qui est accessible aux participants pour les amener, étape après étape, vers de nouveaux possibles. Cela renvoie au YS III-6 « Tasya bhûmishu viniyogah », « L’application de cela respecte les niveaux de chacun » (Frans Moors). Mon intention est que la pratique réponde aux besoins de chacun, que cela les motive à s’investir. C’est aussi les surprendre avec de la nouveauté ; l’esprit ludique aidant à maintenir leur attention. Il y a des paroles pour les encourager et des temps de repos afin d’accueillir les sensations suite à leur effort. Certains autistes, ne « voient » pas, ne savent pas, n’ont pas envie, ne perçoivent pas l’intérêt de leur présence, ils ne peuvent pas s’engager dans l’action. Alors, la séance est une invitation à faire, à « être là » pour découvrir.

Après les quelques mots de bienvenue, on commence avec le « rituel respiration ». Puis, on enchaine avec un automassage Do In qui permet de dessiner un certain schéma corporel. Les jeunes expérimentent la mobilité des mains pour prendre, saisir, tenir, lâcher. En nommant la partie du corps et leur fonction, on caresse, pianote, tambourine, gratte, palpe, presse, pétrit. C’est un moment de concentration. L’expérience est riche de découverte et de sensations physiques. Progressivement, j’introduis une pratique posturale.

Se nourrir de l’expérience sensorielle.

Depuis octobre 2020, l’intitulé de mes interventions est « Éveil corporel et gestion des émotions ».
L’émotion est une réaction intérieure à quelque chose perçu de l’extérieur de soi. Elle est une énergie subtile qui s’inscrit dans le vivant. Elle nous saisit le cœur. Elle trouble notre vue. Elle nous prend les tripes. Son rôle est de nous faire vivre une expérience physique, mentale, psychique. L’émotion nous traverse, du corps grossier au corps subtil. Si on s’y accroche, si on s’y identifie, l’émotion provoque un désagrément et nous rend malade. Elle peut être la cause de profondes souffrances.

Avec les élèves, verbaux ou non, gérer l’émotion commence par désigner son humeur quand on prend place sur le tapis. Dire à voix haute si on est fatigué, énervé, heureux etc. Régulièrement, j’accorde en fin de séance quelques minutes pour mettre des mots sur ce que l’on a fait et j’invite à observer si son état est le même qu’au début. Pendant le cours, les sens sollicités pour communiquer et se comprendre sont :

  • –  La vue afin d’identifier le professeur et les autres participants. Voir aide certains à reproduire le geste, parfois tous ensemble créant aussi une cohérence de groupe. Pour d’autres, le regard est fuyant, la tête baissée ou sur le côté. Mais ils observent et progressivement la confiance s’installe.
  • –  L’ouïe pour entendre les mots et les associer à l’action pour suivre mes consignes. C’est aussi écouter leurs impressions, également celles des jeunes non-verbaux. Entendre aussi la qualité du silence dans un cours de yoga. Celui-ci qui peut être le signe d’un refus de faire une action ou encore le calme serein en fin de séance.
  • –  Le toucher avec les mains, les pieds et la peau permet de délimiter l’espace corporel que nous sommes. On peut sentir le froid, le chaud, le sol dur ou le tapis mou. La sensation du toucher est un contact intime avec soi par l’action de l’automassage. Mais aussi avec les autres, d’où la demande d’autorisation de « poser mes mains » afin de guider le mouvement et ne pas être intrusive. Les exercices en binôme sont une invitation à exécuter une posture au contact d’une autre personne.
  • –  L’odorat est le sens premier car il n’y a pas d’effort d’action ; il est associé à la respiration. J’ai constaté que les jeunes ayant le moins d’interaction avec les autres, portent à leur nez les objets ou une main afin de sentir, renifler l’odeur de ce qu’ils ont touché. Pour les participants verbaux, les odeurs sont aussi une source régulière de commentaires.

Espace ludique

Sur le tapis, le yoga est au service de l’expérience. La pratique en dynamique aide à la circulation du souffle. En donnant aux postures le nom d’éléments de la nature, d’animaux, qui ouvrent l’espace de notre imaginaire et cela est apprécié par les élèves de l’IME. On raconte des histoires et on joue les humeurs avec les caractéristiques des animaux.

La pratique en statique signifie rester plusieurs respirations dans la même posture. C’est un moment important pendant lequel, avec ardeur, des participants maintiennent une posture alors que d’autres circulent « rapidement » au-dessus ou au-dessous des corps.  Expérimentant l’effort, ils s’unissent dans la volonté de bien faire les uns pour les autres.

Accueillir les commentaires de différents ressentis ouvre un espace de dialogue et la régularité de l’expérience aide à la connaissance de soi.


Merci à Sylvie Chauvet pour la version courte de ci-dessus.

LIEN VERS LA VERSION LONGUE ici, temps de lecture 8min30s.

Lien vers un autre article du site : https://www.lesinstantsyoga.org/post/yoga-et-handicap-mental-une-experience-de-cours-personnalise-avec-un-enfant/



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